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Lorsque nous jouons au golf notre cerveau est mobilisé sur ses deux modes de fonctionnement, conscient et inconscient. Dans l’article «Réflexion-Action ou le cerveau à la manœuvre » je proposais de reconsidérer le mythe voulant que notre cerveau droit et notre cerveau gauche exécutent des tâches qualitativement différentes : à l’hémisphère gauche la réflexion, à l’hémisphère droit, le sensible, l’instinct.
Tiger Woods en pleine réflexion. © L’Équipe
Or que ce soit pour réfléchir ou pour agir d’instinct, il est aujourd’hui avéré que nous puisons constamment des ressources dans les deux hémisphère de notre cerveau.
Comme le dit Gereon Fink, professeur à l’université de Düsseldorf (Allemagne), l’un des chercheurs les plus en pointe sur la question : « quelle que soit l’histoire à propos de la latéralisation, une simple dichotomie des hémisphères est totalement hors sujet. Ce qui compte, c’est comment les deux côtés du cerveau se complètent et s’associent » .
Voyez aussi sous ce lien un article universitaire beaucoup plus complet sur le sujet.
Il faut croire que l’idée d’un cerveau zoné nous convient bien. Aujourd’hui c’est un autre découpage qui se révèle n’être à son tour qu’un mythe.
Une étude publiée le 4 septembre 2015 réalisée par une équipe de l’Institut du Cerveau et de la Moelle épinière de l’Hôpital Pitié Salpêtrière à Paris vient battre en brèche un certain nombre de nos convictions sur le cerveau.
Michel Thiebaut de Schotten et ses collaborateurs ont revisité 3 cas d’école de patients qui avaient permis d’associer dans la deuxième moitié du XIX° siècle et à la moitié du XX° des fonctions à des régions précises du cerveau. La plus connue étant l’aire de Broca qui contrôlerait le langage articulé. Et ainsi le langage, le comportement social, la mémoire se sont trouvés cantonnés à des zones précisément délimitées.
Aire de Broca, hémisphère gauche
Les résultats obtenus aujourd’hui par une technique d’imagerie des connexions cérébrales (tractographie IRM) dans la reconstitution des cerveaux de ces trois patients, amènent à une révision essentielle de notre compréhension du cerveau.
Ainsi les résultats de ces chercheurs suggèrent que le comportement social, le langage et la mémoire dépendent de l’activité coordonnée de différentes régions du cerveau plutôt que de zones circonscrites dans les lobes frontaux ou temporaux.
Notre cerveau serait donc moins simple et moins ordonné que le voudrait notre vision cloisonnée.
Il va falloir se rendre à l’évidence, chaque avancée des neurosciences plaide pour une révision de nos dogmes et l’adoption d’une vision plus globale du mode de fonctionnement et de l’organisation du cerveau.
De notre côté soyons prudents vis-vis de tous ceux qui veulent encore nous vendre du coaching reposant sur ces idées que la recherche scientifique contredit.
Lisez le communiqué de l’ICM concernant la recherche évoquée ici.
Naissance d’un mythe
L’idée que les hémisphères ne sont pas équivalents et que chacun a sa spécialisation est ancienne, mais la « théorie des deux cerveaux » lancée dans les années 70 par trois neurologues de l’Université Harvard, Geschwind, Levitsky et Galaburda, l’a largement popularisée. Selon cette approche, chaque hémisphère cérébral joue un rôle particulier : on parle de « latéralisation » du cerveau. L’hémisphère gauche est considéré comme le spécialiste du langage et de la pensée rationnelle. De son côté, l’hémisphère droit est vu comme le siège de la représentation de l’espace et des émotions. Cette conception s’est d’abord fondée sur des observations anciennes réalisées chez des patients porteurs de lésions cérébrales. Paul Broca, notamment, en 1861, avait repéré dans l’hémisphère gauche une zone systématiquement endommagée chez des sujets ayant perdu la capacité de parler (aphasie). (Cette zone importante pour le langage fut d’ailleurs nommée « aire de Broca »). D’autres corrélations ont suivi, permettant de relier région lésée et perte de fonction. Une lésion survenant dans l’hémisphère droit induit généralement une altération des capacités à percevoir les formes et à s’orienter. De proche en proche, une cartographie du cerveau a pu être établie, avec des aires nécessaires à la vision, l’audition, la motricité, le langage, etc.
Ces observations ont été très importantes à l’époque pour la compréhension du fonctionnement du cerveau, dont l’étude commençait à peine. Cependant, il faut garder à l’esprit que les effets de lésions cérébrales doivent être interprétées avec prudence. Car le fait d’observer un trouble fonctionnel suite à la lésion d’une région n’implique pas obligatoirement que cette région soit le siège de la fonction. Par exemple si la parole disparaît, cela signifie que la zone touchée est nécessaire à l’expression verbale, mais elle n’est pas forcément suffisante. Le déficit induit par une lésion ne dit pas tout d’une fonction.
Malgré des bases expérimentales manifestement peu étayées, la théorie des deux cerveaux a séduit beaucoup de monde car elle est simple et cristallise une représentation bipolaire du monde. On ne s’étonnera pas que cette théorie soit devenue le creuset de toutes sortes de spéculations plus ou moins mystiques. Dans les années 70, à l’heure où le mouvement hippy recherchait des méthodes d’épanouissement, de nouveaux gourous ont exploité le filon symbolique des deux cerveaux, présentés comme le yin et le yang. A gauche le langage, la raison, l’esprit d’entreprise et tout ce qui représente les valeurs de l’Occident. A droite, la perception de l’espace, l’affectivité, la contemplation et les valeurs de l’Orient et de l’Asie. Nombres d’ouvrages et de stage « d’initiation » proposaient des méthodes pour « penser équilibré ». Et le filon n’est toujours pas épuisé ! Ces arguments sont toujours utilisés dans une certaine presse grand public.
Extrait tiré de Cerveau, sexe et pouvoir. de C Vidal, D Benoit-Browaeys