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Mis à jour le 24 février 2022
À l’occasion de l’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver 2022, le Professeur Robert Jaffard, neurologiste spécialisé dans l’étude de la mémoire, professeur émérite à l’Université de Bordeaux1 et professeur associé à l’université Laval (Québec), membre du Conseil scientifique de l’Observatoire B2V des Mémoires a donné un entretien dans lequel il aborde les rapports entre activité physique et mémoire.
Beaucoup de point peuvent concernés les golfeurs. Je vous en propose l’essentiel ci-dessous.
En quoi la pratique d’une activité physique a un impact sur notre mémoire ?

Depuis longtemps il est reconnu que l’activité physique améliore les domaines de la mémoire qui dépendent essentiellement de l’hippocampe, une structure du cerveau des mammifères très impliquée dans les systèmes de l’inhibition du comportement, de l’attention, de la mémoire spatiale et de la navigation.
De nombreuses expériences réalisées sur l’homme et l’animal ont montré que l’activité physique agit en favorisant la production de nouveaux neurones améliorant chez l’homme l’encodage, la consolidation et le rappel des souvenirs.
Récemment, il a été montré qu’une enzyme produite pendant l’activité physique (la cathepsine B) stimulait la plasticité de l’hippocampe et ses conséquences positives sur la mémoire.
Quelle est l’importance de la répétition du geste du sportif pour sa mémorisation.
Pour le sportif il s’agit ici développer une habilité, une compétence motrice, une forme de mémoire non-déclarative dite procédurale.
Ce développement passe par trois stades :
– un stade cognitif de représentation explicite du geste,
– un stade associatif d’exécution répétée avec correction des erreurs,
– un stade autonome où l’habileté devient un « programme moteur » comparable à un réflexe inné.
Ces programmes moteurs permettent l’exécution coordonnée – rapide et précise – de séquences d’action motrice comme par exemple l’exécution du swing de golf.

Globalement ces programmes moteur reposent sur les régions sensorielles et motrices du cortex cérébral et sur le striatum, structure indispensable pour établir le lien entre perception et commande motrice.

Ainsi pour acquérir une nouvelle habileté la clé de la réussite est la répétition. Seule la répétition va permettre de graver des circuits, des cartes cérébrales précises qui vont enregistrer l’habileté motrice pour laquelle le sujet a été entrainé. Or ces cartes doivent être activées de façon répétitive. Il est bien connu que la mémoire ne s’use que si on ne s’en sert pas.
Pour nous golfeurs, le practice est le lieu par excellence où nous pouvons répéter nos apprentissages et consolider nos habiletés.
D’autant que des travaux récents ont montré que des activations suffisamment répétées par la pratique conduisent à des modifications structurales de la matière grise (essentiellement des neurones) et de la substance blanche (des fibres nerveuses).
L’imagerie médicale a montré chez des sportifs de haut niveau des traces physiquement marquées au sein de la matière grise et de la substance blanche de régions cérébrales précises.
Au total, on estime que plus de 80% de la matière grise cérébrale d’un cerveau adulte est modifiable par l’activité physique.
Le travail mental est aussi important que la préparation physique.
Le premier volet du travail mental concerne la visualisation. Cette pratique consiste à imaginer le mouvement accompagné de l’ensemble des sensations qu’il produit (tensions musculaires, perceptions visuelles) et incluant, si possible, l’ordre et le timing des séquences motrices qui le composent. (Voir cet article dans ogolf.fr)
Cette imagerie mentale entraîne des gains de performance comparables à celles obtenues par l’exercice physique effectif. Les deux sont complémentaires et, de fait, il y a bien une large superposition des régions cérébrales activées par chacun de ces deux types d’entraînement. Leur consolidation est améliorée par le sommeil.
Second volet du travail mental, l’imitation, c’est à dire l’observation du mouvement exécuté par une tierce personne. Cela tient au fait qu’observer ou exécuter soi-même un mouvement particulier active les mêmes neurones. C’est ce que l’on appelle le système des « neurones miroirs ».
Au golf nous nous trouvons dans un système où les habiletés motrices peuvent être qualifiées de fermées dans la mesure où elles ne concernent que des mouvements précis et limités exécutés seul. Inutile au golf de se préoccuper d’un adversaire potentiel qui pourrait, comme au foot, venir nous tâcler. Dans ces cas fermés, l’imitation d’autrui est une alternative efficace à la répétition de gestes concrets.

L’observation des joueurs de haut niveau est donc un exercice formateur. Certaines méthodes d’apprentissage du golf comme GOLF Méthode GE2M préconisent même d’observer des vidéos d’un même joueur systématiquement tous les jours pendant plusieurs semaines.
En plus bien sûr d’autres exercices plus actifs…
Doit-on faire abstraction de sa mémoire pour se concentrer ?
J’ai plusieurs fois cité dans mes articles cette phrase de Percy Boomer : « un golf régulier dépend de notre capacité à interdire l’accès de notre machinerie mentale à la part de nous-même qui joue les coups de golf ».
Les neurosciences vont s’exprimer différemment et Robert Jaffard nous retourne l’affirmation de Boomer sous la forme d’une question : « Est- ce que l’évocation de souvenirs (mémoire déclarative dépendante de l’hippocampe) peut affaiblir, par la « déconcentration » qu’elle entraînerait, l’expression d’une habileté motrice procédurale (dépendante du striatum) ? »
Bien que ces deux systèmes de mémoire (hippocampe et striatum) soient souvent considérés comme fonctionnellement indépendants ou « encapsulés », il existe des situations expérimentales dans lesquelles ils peuvent entrer en compétition. Par exemple, la mémoire d’une liste de mots peut perturber le rappel d’une séquence motrice digitale. Le sportif en situation de compétition doit s’obliger à rester concentré sur un seul objectif, celui de réaliser par ses actions la meilleure performance possible.
Or il existe un système cérébral qui peut s’y opposer. Il s’agit du « réseau du mode par défaut » (RMD), constitué de structures cérébrales dont l’activation entraîne, chez le sujet au repos, un « vagabondage mental » portant entre autres sur l’évocation de souvenirs personnels. Réduire ou supprimer l’activité du RMD pour se concentrer sur l’objectif du moment suppose un basculement de l’activité cérébrale vers le système exécutif du cortex préfrontal qui permet un « recentrage » sur l’action en cours et sa gestion.
Percy Boomer qui dans les années 1940, quand il publie son livre, ne savait rien des subtilités fonctionnelles de notre cerveau et qui appuyait son enseignement sur sa seule expérience pratique n’avait donc pas tord.
Le recentrage sur l’action en cours porte un nom : l’attention. Les neurosciences mettent en lumière la nécessité de savoir mobiliser notre attention sur notre tâche. De nombreux coaches de golf conseillent à leurs élèves de partir sur leurs parcours d’entrainement avec une pensée du jour une consigne (ou deux) qu’ils doivent s’appliquer à mettre en œuvre pour chaque coup joué.
Vous pouvez télécharger ICI l’entretien complet du Professeur Robert Jaffard